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Des sols sains pour des systèmes alimentaires sains et la resilience

Nous faisons cette déclaration au nom de 41 organisations paysannes africaines, réseaux d’ONG africaines, ONG africaines spécialisées, institutions confessionnelles, mouvements de consommateurs, organisations internationales et individus qui soutiennent la position de l’AFSA. Les membres représentent plus de 200 millions de petits exploitants agricoles, d’éleveurs, de chasseurs/cueilleurs, de peuples autochtones, d’environnementalistes, de femmes, de groupes de jeunes et d’entrepreneurs agroécologiques de toute l’Afrique.

Contexte : L’Union africaine et le gouvernement du Kenya accueilleront le Sommet africain sur les engrais et la santé des sols à Nairobi du 7 au 9 mai 2024. L’objectif du Sommet est de  » rassembler toutes les parties prenantes concernées pour souligner le rôle crucial des engrais et de la santé des sols dans la stimulation d’une croissance durable de la productivité en faveur des pauvres dans l’agriculture africaine et pour convenir d’un plan d’action décennal pour les engrais et la santé des sols en Afrique, ainsi que de l’initiative sur les sols pour l’Afrique.  » Le plan d’action proposé vise à « augmenter de manière significative les investissements dans la fabrication et la distribution locales d’engrais minéraux et organiques, de biofertilisants et de biostimulants » et à « tripler l’utilisation d’engrais de 18 kg/ha en 2020 à 54 kg/ha en 2033 ».

Le problème des sols : la dégradation des sols s’accentue dans la région, avec plus de 20 % des terres déjà dégradées dans la plupart des pays africains, ce qui affecte plus de 65 % de la population et a des effets négatifs importants sur la production alimentaire et les moyens de subsistance des populations. Les pertes de rendement signalées vont de modérées (baisse de 2 % sur plusieurs décennies) à catastrophiques (plus de 50 %), en fonction de la culture, du type de sol, du climat et des systèmes de production, la plupart des études faisant état de pertes importantes (FAO). Dans toute l’Afrique, les sols sont gravement appauvris. Ils ont perdu leur matière organique et sont souvent dénudés et parfois recouverts d’une couche de béton. Ils sont dépourvus de la vie microbienne très diversifiée que l’on trouve dans les sols naturels sains. Il est urgent de mettre en place des interventions proactives pour stopper et inverser la dégradation des sols. Les terres agricoles sont particulièrement sujettes à l’érosion et à l’épuisement des nutriments.

Notre analyse : Bien que l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique reconnaisse et salue l’engagement de l’UA à inverser la dégradation des sols et à lutter contre la faim, la malnutrition et la pauvreté, nous émettons d’importantes réserves. Nous sommes fondamentalement en désaccord avec la vision et les stratégies exposées, qui non seulement interprètent mal les défis sous-jacents de la santé et de la fertilité des sols, mais perpétuent également les solutions dépassées de la révolution verte qui ne répondent pas à la dégradation de la fertilité des sols en Afrique, et qui pourraient même l’exacerber. Ces approches risquent de mettre davantage en péril la sécurité alimentaire, de détériorer la santé publique et d’appauvrir notre diversité semencière cruciale, qui constitue la pierre angulaire de la souveraineté et de la résilience alimentaires. Le plan d’action passe malheureusement à côté d’une opportunité cruciale de changement transformateur, en contournant une évolution nécessaire vers l’agroécologie – une solution africaine audacieuse qui défend la souveraineté alimentaire et la justice climatique.

Un plan directeur descendant : La formulation du plan d’action a largement exclu les agriculteurs, les organisations de la société civile et les praticiens de l’agroécologie, qui sont en première ligne de l’agriculture durable en Afrique. L’absence de ces voix conduit à des politiques déconnectées des réalités du terrain et des besoins de la majorité. Elles ignorent la culture locale, les connaissances autochtones et le concept du droit à l’alimentation.

Dépendance à l’égard des intrants agricoles importés : L’accent mis par le plan sur les engrais minéraux perpétue un cycle de dépendance qui mine la diversité des semences locales et la résilience écologique. La promotion des engrais s’accompagne d’une promotion parallèle des semences hybrides, qui sont souvent conçues pour fonctionner dans des conditions de sol artificiellement améliorées, réduisant ainsi l’utilisation de diverses variétés de semences locales mieux adaptées aux conditions locales et cruciales pour la résilience, la sécurité alimentaire et la diversité écologique. Les engrais synthétiques entraînent une pollution par les nitrates et sont très énergivores. Ils tuent les micro-organismes bénéfiques, s’infiltrent dans les eaux souterraines, augmentent la toxicité et endommagent les systèmes respiratoires. Les plantes qui poussent dans des sols trop fertilisés sont déficientes en nutriments. Alors que les paysans luttent pour faire face à l’augmentation du prix des engrais, les neuf plus grandes entreprises d’engrais du monde réalisent des bénéfices records, multipliés par plus de quatre en 2022 par rapport à deux ans plus tôt.

Marginalisation des solutions agroécologiques: L’agroécologie est incompatible avec les engrais synthétiques ; il s’agit d’une approche globale qui intègre les connaissances locales et l’innovation scientifique pour créer des systèmes alimentaires résilients. L’approbation superficielle des biofertilisants par le plan actuel ressemble à une tactique visant à rendre plus acceptables les agendas agressifs des entreprises en matière d’engrais sans s’engager à un véritable changement.

Le fardeau économique : La lourde charge financière imposée aux nations africaines pour soutenir l’achat d’engrais coûteux et importés draine les économies locales et détourne les fonds d’investissements agricoles locaux plus durables. Cette pression économique est exacerbée par un processus de planification influencé par des acteurs extérieurs tels que l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), qui profite aux entreprises agrochimiques mondiales en maintenant le statu quo d’une agriculture dépendante des importations.

RECOMMANDATIONS

Mettre le focus sur l’agroécologie: Nous appelons les gouvernements et les décideurs politiques à reconnaître et à valoriser l’énorme potentiel de l’agroécologie pour accroître durablement la sécurité et la souveraineté alimentaires, en réduisant la pauvreté et la faim tout en préservant la biodiversité et en respectant les connaissances et les innovations autochtones. Les données montrent que ces systèmes peuvent rivaliser avec l’agriculture industrielle en termes de rendement total, qu’ils sont particulièrement performants en cas de stress environnemental et qu’ils permettent d’augmenter la production dans les endroits où l’on a désespérément besoin de nourriture supplémentaire. Les systèmes agroécologiques diversifiés peuvent également ouvrir la voie à des régimes alimentaires variés et à une meilleure santé. Nous appelons les partenaires du développement à réorienter leurs ressources vers l’agroécologie. Nous appelons les chercheurs à réorienter leurs études vers l’agroécologie.

Investir dans la recherche et les services de vulgarisation agroécologiques : Les décideurs politiques devraient allouer des fonds à la recherche agroécologique et aux services de vulgarisation qui soutiennent les pratiques agricoles durables, la conservation de la biodiversité et la résilience climatique. Il s’agit notamment de promouvoir des méthodes de recherche participatives qui engagent les paysans dans la cocréation de connaissances et l’adaptation des techniques agricoles aux contextes locaux.

Promouvoir la production d’engrais biologiques et éliminer progressivement les engrais chimiques importés : Remplacer rapidement les engrais chimiques par des intrants biologiques agroécologiques et des engrais organiques, en profitant de la pénurie actuelle d’engrais chimiques importés pour permettre aux pays africains de promouvoir la production nationale d’engrais biologiques/agroécologiques plutôt que d’accroître leur endettement en contractant des prêts pour financer leur dépendance continue à l’égard des importations d’engrais.

Impliquer les paysans et la société civile : Les paysans et la société civile doivent participer à l’élaboration de la stratégie agricole afin de garantir que les plans répondent aux besoins réels et aux contextes des petits exploitants agricoles qui sont au cœur du système alimentaire.

En conclusion, l’AFSA appelle à une révision complète de l’actuel plan d’action sur les engrais et la santé des sols afin de se concentrer sur des politiques qui renforcent véritablement l’autonomie des paysans, protègent la biodiversité et construisent des systèmes alimentaires résilients grâce à des pratiques agroécologiques et adaptées aux conditions locales. Ce n’est que grâce à ces changements transformateurs que nous pourrons garantir la durabilité et la souveraineté à long terme des systèmes alimentaires de l’Afrique.

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À PROPOS DE L’AFSA

L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) est une coalition continentale d’organisations de la société civile qui se consacre à la promotion des causes de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie sur le continent africain. Notre alliance comprend diverses entités, notamment des réseaux de producteurs alimentaires africains, des réseaux d’OSC africaines, des organisations de populations autochtones, des organisations confessionnelles, des groupes de femmes et de jeunes, des mouvements de consommateurs et des organisations internationales qui s’alignent sur la mission de l’AFSA. L’AFSA est un « réseau de réseaux » qui compte 41 organisations membres actives dans 50 pays africains et qui touche environ 200 millions de personnes.

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