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Les organisations de la société civile et les organisations confessionnelles africaines ont lancé aujourd’hui une déclaration commune sur le partenariat UA-UE appelant les décideurs politiques européens et africains à prendre en compte les problèmes et les besoins réels des petits exploitants agricoles, des pasteurs, des pêcheurs artisanaux et des communautés forestières d’Afrique.

S'INSCRIRE : Si vous souhaitez que votre organisation signe cette déclaration, veuillez envoyer le nom et le logo de votre organisation à afsa@afsafrica.org

Déclaration de la société civile africaine sur le partenariat Afrique-UE

CONTEXTE

Nous, membres d’une large alliance d’organisations de la société civile et d’organisations confessionnelles de toute l’Afrique, saisissons cette opportunité de faire entendre nos inquiétudes et nos recommandations à l’occasion du prochain Sommet UE-UA.

La société civile africaine a suivi les actions récemment engagées par l’UE notamment le Groupe de travail pour l’Afrique rurale 2019 – Une stratégie Afrique-Europe pour la transformation rurale [TRFA], la Conférence ministérielle UA-UE sur l’agriculture et la proposition de stratégie de l’UE vis-à-vis de l’Afrique.

La société civile africaine a participé aux discussions concernant le TRFA. Elle en a d’un côté largement apprécié les aspects progressistes : le fait d’admettre que l’économie rurale est le moteur de la réduction de la pauvreté, le changement d’orientation qui met l’accent sur l’agriculture familiale, la reconnaissance de l’immense diversité de l’Afrique qui entraîne la nécessité de trouver des solutions spécifiques au contexte à mettre en œuvre localement, et l’adoption d’une stratégie fondée sur les systèmes alimentaires. En revanche, des inquiétudes ont été soulevées quant à l’incapacité de faire face aux grands problèmes de l’Afrique, principalement la mainmise des grandes entreprises sur les systèmes alimentaires et les dégâts provoqués par cette situation sur notre environnement, nos sols, nos terres, notre eau, notre biodiversité, notre nutrition et notre santé.

Un an plus tard, la Stratégie de l’UE pour l’Afrique n’a, semble-t-il, plus grand chose à voir avec ce programme : au lieu de s’intéresser à l’agriculture et aux systèmes alimentaires, elle concentre ses efforts sur la création d’un environnement propice aux intérêts économiques des grandes entreprises du secteur privé. Alors que l’objectif officiel est de « bâtir un avenir plus prospère, plus pacifique et plus durable pour tous », les cinq partenariats proposés sur l’énergie, la numérisation, les investissements étrangers, la paix et les migrations passent largement sous silence les besoins des plus de 60 % de foyers africains qui dépendent pour leur survie de l’agriculture familiale et de la production à petite échelle.

Les petits exploitants, les éleveurs, les petits pêcheurs et les communautés forestières ont beau dominer la démographie de l’Afrique rurale, les espaces politiques sont encombrés par des acteurs extérieurs : philanthropes, entreprises, agences multilatérales et bilatérales. Le résultat est que la plupart des pays du continent ont été poussés – souvent par des initiatives venues des pays du Nord et fondées sur l’investissement privé et les partenariats public-privé – à subventionner un modèle de développement agricole basé sur des intrants externes et axé sur les exportations et les denrées produites en monoculture, et à dépendre lourdement du transfert des terres pour exploiter le bois, le pétrole, le gaz et les minéraux afin de générer des devises étrangères. Ces décisions sont prises très souvent en l’absence de toute étude d’impact environnemental ou en dépit d’une évaluation [défavorable]. Les taux internes de rentabilité interne faussent le calcul des coûts réels, car les conséquences sociales et environnementales sont externalisées. Les forêts tropicales d’Afrique, second poumon de la planète, perdent leurs richesses tandis que le prix du carbone forestier est négocié dans les salles de réunion de la Banque mondiale et du FMI. La plus grande partie de cette dépossession concerne des terres « communales » appartenant aux paysans, ce qui menace les systèmes alimentaires africains d’un effondrement complet. Le rapport 2020 de la FAO sur la sécurité alimentaire en Afrique[1] indique que 256 millions de personnes continuent à souffrir de la faim en Afrique et que les femmes des zones rurales, qui sont pourtant les principales productrices de nourriture, sont les plus pauvres et les plus mal nourries.[2]

LA VISION AFRICAINE

La terre et l’agriculture ne sont pas perçues de la même façon en Afrique et ne peuvent donc par être traitées comme en Europe. Pour les 60 % d’Africains qui dépendent de l’agriculture pour leur survie,  la terre n’est ni une marchandise ni un bien personnel ; c’est un cadeau de Dieu et de nos ancêtres.[3]  Pour les Africains, la terre définit notre identité d’êtres vivants, notre dignité, notre sentiment d’appartenance. En Afrique, la nourriture est un droit humain de base, et non une marchandise aux mains d’une petite élite qui impose ses prix à travers l’industrie alimentaire. La nourriture définit notre culture et notre héritage : elle est à la fois source de nutrition et de santé, médicament, rituel, célébration.

En Afrique comme dans la plupart des pays du Sud, l’agriculture[4] est un pilier de l’économie et représente un moyen de subsistance et l’espace où vivent la majorité des gens. L’agriculture est un point d’entrée stratégique pour introduire des mesures qui peuvent amener toute une série de bénéfices, notamment une meilleure sécurité alimentaire et nutritionnelle, des bénéfices environnementaux et une plus grande résilience au changement climatique. Le rôle de l’agriculture est également important pour garantir la cohésion et protéger la culture de la communauté. La manière dont est vue l’agriculture dans les mesures, le financement et la mise en œuvre a un impact considérable sur l’économie, les systèmes alimentaires, la nutrition, la justice sociale et l’environnement. Nous appelons les décideurs européens et africains à entériner les exigences suivantes dans l’élaboration de la stratégie UE-UA :

  • Garantir une place aux acteurs de la société civile, tant au sein qu’à l’extérieur des espaces décisionnels. Les acteurs de la société civile ont beaucoup de mal à trouver leur place à la table des négociations ; certains choisissent de rester “ en dehors”. Tous doivent pouvoir exprimer leur avis en toute liberté et sans se mettre en danger et pouvoir peser sur les décisions.
  • Reconnaître, valoriser et soutenir l’énorme potentiel de l’agroécologie*pour augmenter de manière durable la sécurité et la souveraineté alimentaires, réduire la pauvreté et la faim, tout en préservant la biodiversité et en respectant les savoirs et les pratiques innovantes des peuples autochtones. Ceci nécessite de changer le financement des programmes de développement, car on voit très clairement que les bailleurs publics ont pour la plupart tendance à ignorer cette approche transformatrice.[5]
  • Reconnaître la petite agriculture familiale comme un modèle structurel viable pour le développement du secteur agricole[6].
  • Respecter la résolution 431 de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur le droit à l’alimentation et à la nutrition qui exhorte les États à « réglementer strictement l’importation des produits alimentaires étrangers ainsi que la promotion et la commercialisation des aliments industrialisés et hautement transformés. »
  • Accélérer le passage à des systèmes alimentaires durables par des mesures de soutien et des incitations financières qui protègent et améliorent l’accès des producteurs alimentaires à la terre, aux semences, à l’eau, au crédit et aux marchés locaux.
  • Repenser de toute urgence la politique de développement agricole en Afrique, abandonner la préférence pour les systèmes agricoles industriels et se recentrer sur un modèle holistique, durable et culturellement adapté.
  • Redoubler d’efforts pour soutenir le programme de l’Union africaine pour la paix et la sécurité et réduire les violents conflits qui sévissent sur le continent, en reconnaissant que ce sont souvent les femmes, les enfants et les jeunes qui sont les premiers à en souffrir.
  • Soutenir et développer le concept de systèmes alimentaires territoriaux[7], en décentralisant la création de valeur ajoutée, en stimulant l’économie rurale, en garantissant une gouvernance locale et en renforçant les chaînes de valeur là où le gaspillage alimentaire est actuellement énorme.
  • Mettre fin à la marchandisation des ressources naturelles de l’Afrique, qui sont achetées et vendues par les multinationales et les élites locales. Les générations futures ont besoin de suffisamment de terres fertiles et de sols vivants pour nourrir et fournir de quoi vivre à leur famille et à leurs descendants, et pour préserver l’intégrité de leur culture.
  • Protéger et promouvoir les droits des femmes à la terre. Quoiqu’elles soient reconnues comme assurant la majeure partie du travail dans les petites exploitations agricoles, seule une minuscule fraction des femmes africaines ont le contrôle de leurs terres. Les femmes doivent véritablement pouvoir faire entendre leur voix sur la gouvernance foncière et les acquisitions de terres à grande échelle.
  • Garantir que toutes les grandes acquisitions foncières soient précédées d’une évaluation transparente des conséquences environnementales, sociales et culturelles et d’un consentement préalable éclairé des communautés autochtones et paysannes. Les communautés doivent décider ce qui se passe sur leurs terres et avoir le droit de dire non !
  • Faciliter l’accès à la terre pour les jeunes afin d’éviter les vagues de migrations et les inégalités en matière d’emploi dans les pays africains.
  • Faire adopter un traité des Nations unies juridiquement contraignant pour s’assurer que les entreprises transnationales soient pleinement redevables des violations des droits humains et des crimes environnementaux qu’elles commettent.[8]
  • Travailler ensemble – UE, UA et société civile – pour garantir que la terre reste aux mains de ses utilisateurs légitimes et qu’elle soit gérée dans le respect de la nature et pour répondre aux besoins et aspirations des communautés qui vivent de la terre.

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*Note sur l’agroécologie

L’agroécologie est une approche intégrative qui reconnaît le lien entre les plantes, les animaux, les êtres humains et l’environnement. C’est l’écologie des systèmes alimentaires.[9] Le Centre de connaissances sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle à l’échelle mondiale de la Commission européenne[10] reconnaît que l’agroécologie peut jouer un rôle essentiel pour renforcer la résilience et illustre les liens entre l’agroécologie et les Objectifs de développement durable (ODD), en citant les 13 principes de l’agroécologie définis dans le rapport 2019 du HLPE [groupe d’experts de haut niveau] sur l’Agroécologie[11] et autres approches innovantes. L’agroécologie fournit un ensemble de principes moteurs de changement que les agriculteurs peuvent appliquer à n’importe quelle échelle pour relancer l’écosystème de leur terre et le faire fonctionner de manière efficace et autosuffisante.[12] Le groupe d’experts de haut niveau du CSA [Comité de la sécurité alimentaire mondiale des Nations Unies] a montré que les méthodes agroécologiques sont supérieures aux autres en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle.[13]L’analyse[14] de 50 études de cas d’agroécologie en Afrique[15] indique qu’ils ont fortement contribué à la réalisation des ODD, en améliorant l’accès à une alimentation saine et nourrissante, et en permettant une augmentation des rendements et des revenus, la mise en place de systèmes de production durables et l’accroissement de la biodiversité.

 

 

 

 

[1] FAO, ECA and AUC. 2020. Aperçu régional de l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition en Afrique 2019, http://www.fao.org/family-farming/detail/fr/c/1198381 et / http://www.fao.org/3/ca7343en/CA7343EN.pdf

[2]  https://unstats.un.org/unsd/gender/downloads/WorldsWomen2015_French.pdf [chap.8, p.197]

[3] http://www.wcc-coe.org/wcc/what/jpc/echoes-16-05.html

[4] Dans ce document, le terme « agriculture » est utilisé pour englober le pastoralisme, la pêche, la récolte sauvage, la chasse, ainsi que l’utilisation et la gestion communautaires des ressources naturelles et des écosystèmes (zones humides, forêts, savanes, etc.).

[5] https://www.cidse.org/wp-content/uploads/2020/09/CIDSE-Agroecology-and-Finance-Briefing-Sept-2020-1.pdf Voir aussi RECOWA, 2020, Message des Evêques Membres du 8ème Conseil Permanent

[6]

[7] https://www.righttofoodandnutrition.org/fr/node/118

[8] https://www.cidse.org/wp-content/uploads/2020/02/CIDSE-Submission-Feb-28.pdf  voir aussi RECOWA, 2020, Message des Evêques Membres du 8ème Conseil Permanent

[9]https://afsafrica.org/wp-content/uploads/2019/07/connaitre-lagroecologie-un-guide-des-media-pour-les-journalistes-et-communicateurs-africains.pdf

[10] https://ec.europa.eu/knowledge4policy/sites/know4pol/files/agroecology_brief_final_10102019.pdf

[11] http://www.fao.org/3/ca5499fr/CA5499FR.pdf et http://www.fao.org/3/ca5602en/ca5602en.pdf

[12] https://www.cidse.org/fr/2018/04/03/the-principles-of-agroecology/

[13]  http://www.fao.org/3/ca5499fr/CA5499FR.pdf et http://www.fao.org/3/ca5602en/ca5602en.pdf

[14] https://www.ileia.org/2016/09/22/agroecology-contributes-sustainable-development-goals/

[15] https://afsafrica.org/etudes-de-cas-agroecologie/?lang=fr

 

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