Le petit mil noir et l’oignon blanc, deux semences paysannes qui font leur retour au Niger.

RÉSUMÉ

Au Niger, le changement climatique et les facteurs économiques pèsent sur les conditions de vie des producteurs agricoles. Faussés par la promesse de meilleurs rendements, bon nombre de producteurs nigériens ont abandonné leurs pratiques agricoles et les variétés paysannes pour adopter des nouvelles pratiques parfois inappropriées. Ce cas traite du mil noir et de l’oignon blanc, deux variétés paysannes que tentent de préserver des organisations paysannes avec l’appui de certains acteurs. Et ce dans un contexte où les politiques sont plus favorables à un système semencier certifié. Il fait état de l’engagement des petits producteurs à restaurer les variétés paysannes pour résoudre les problèmes socio-anthropologiques et de productivité agricole.

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LE PROBLÉME

 

Soucoucoutane et Loga sont deux communes situées dans la région de Dosso, au Niger. Elles sont très similaires tant au niveau des contraintes qu’au niveau social. De par leurs positions géographiques, le relief accidenté et l’état délabré des routes, ces communes font partie des zones à risque climatique. La pauvreté y est quasi permanente. Dans ces communes, les risques climatiques découragent fortement les actions des organisations de développement. Souvent, les solutions proposées par les acteurs en matière de production agricole (semences améliorées, usage des engrais chimiques, etc.) ne sont pas adaptées pour répondre aux contraintes auxquelles font face les producteurs. Ainsi, pour résoudre le problème d’accès aux semences, les organisations de producteurs actives à Soucoucoutane et Loga ont sollicité l’appui du programme SWISSAID. Le programme soutient des initiatives paysannes de reconstitution de semences paysannes fortement appréciées mais menacées d’érosion génétique et/ou de disparition. Ces semences paysannes tirent leurs origines des échanges socioéconomiques et culturels vieux de plus de 100 ans.

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LA SOLUTION

L’objectif est de soutenir les initiatives paysannes de préservation de la biodiversité dans les cultures de la zone du programme SWISSAID Niger.

De manière spécifique, il s’agit de:

  • collecter, multiplier et replacer les variétés paysannes dans leurs zones d’origine ;
  • mettre en place un dispositif local d’accès aux semences paysannes (mil noir et oignon blanc).

Les principales activités réalisées concernent :

L’inventaire ou l’état des lieux sur la disponibilité de ces deux variétés paysannes. Il ressort de cette analyse que l’oignon blanc de Soucoucoutane comme le mil noir de Loga sont fortement menacés de disparition. A titre d’exemple, à Soucoucoutane, moins de 20 producteurs ont conservé la souche variétale d’oignon blanc – en 2014, seul 2 kg de semences étaient disponibles dans l’ensemble de la commune. La même année, l’union des producteurs de Loga a fait l’inventaire des semences de mil noir dans la zone et n’a pu collecter que 200 kg produits par quelques paysans ;

La collecte et la multiplication des semences paysannes: il s’agit de multiplier les semences collectées par les deux organisations sur la base des pratiques agroécologiques et des méthodes paysannes de sélection, d’épuration variétale, de récolte et de conservation des semences. 70 producteurs (dont 18 femmes) dans 12 villages se sont engagés pour préserver le mil local sur une superficie estimée à 169 Ha en 2018. Au total, 25 tonnes de semences ont pu être produites. Une banque de semences d’une capacité de 30 tonnes a été construite par l’union des producteurs pour faciliter aux membres l’accès aux semences de mil.

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Pour ce qui est de l’oignon blanc, la mise en place d’une parcelle de 0,50 ha par une union membre de la fédération a permis en 2015 de produire plus de 13 kg de semences de cette variété paysanne. Cela a facilité sa réintroduction dans 9 autres villages de la zone qui avaient perdu la souche variétale. Ainsi, en 2019, la variété a été réintroduite dans l’ensemble des 9 villages et les quantités de semences autoproduites par les producteurs membres de la fédération s’élèvent à plus de 50 kg, ce qui leur permet de couvrir leurs besoins sans recourir à l’achat de semences exogènes ;

La sensibilisation des communautés et des producteurs sur l’intérêt de la semence paysanne et l’organisation des producteurs ;

La formation des producteurs sur les techniques de multiplication (choix des parcelles de multiplication, conduite de la multiplication, suivi et épuration variétale, suivi des promoteurs engagés dans la multiplication de la semence paysanne) ;

La création/stimulation des compétences locales pour mener le plaidoyer aux niveaux local et national, pour une préservation des variétés paysannes au Niger ;

La mise en place des infrastructures de production pour soutenir les initiatives paysannes (puits, clôtures, magasin de warrantage) ;

La mise en place d’un crédit aux producteurs pour la conservation de leurs productions et l’acquisition des outils et équipements agricoles ;

L’organisation des producteurs pour une vente groupée des stocks ;

L’organisation des foires pour accroître la reconnaissance des semences paysannes.

La réalisation d’une étude pour la caractérisation de l’écotype d’oignon blanc de Soucoucoutane.

Les retombées de la filière oignon blanc de Soucoucoutane (Faral Albassa) profitent à 14 419 personnes dans 10 villages de la commune. Au total, 618 producteurs (dont 368 femmes) sont actifs dans cette filière et sont organisés au sein d’une fédération. Quant au mil noir, ou « Tchouma biyo », l’initiative a bénéficié à 20 610 personnes dans 28 villages de la commune. Un réseau local de 70 multiplicateurs de cette semence paysanne, dont 23 femmes, a été institué par l’union dans 12 villages depuis 2016.

RESULTATS

Les organisations de producteurs ont réussi à préserver deux variétés paysannes menacées de disparation à cause de la promotion des variétés dites améliorées par divers promoteurs. Le nombre de producteurs engagés à préserver ces variétés s’est accru – pour l’oignon blanc, on est passé de moins de 20 producteurs à plus de 600, et pour le mil noir, de moins de 10 producteurs à un réseau de 70 producteurs. A noter aussi que ces initiatives ont augmenté l’indépendance des producteurs en matières d’accès (à temps et de qualité) aux semences et de revalorisation du savoir et des connaissances locales (aspects culturels, socio-anthropiques et diverses connaissances en lien avec les variétés paysannes). L’historique de ces variétés paysannes a été retracé et transmis aux jeunes générations, ainsi que certaines vertus médicinales.

Enfin, ces deux variétés paysannes suscitent l’intérêt de certains chercheurs locaux et des autorités politiques du Niger, qui ont reconnu leurs caractéristiques distinctives lors de diverses foires et expositions de produits agricoles. Lors de la foire régionale de Dosso, organisée en 2019 par le réseau multi-acteurs pour la promotion de l’agroécologie au Niger (RAYA- KARKARA), l’oignon blanc de Soucoucoutane a même été primé en tant que meilleur écotype d’oignon.

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CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Par ces activités, les organisations de producteurs ont prouvé qu’il est important de ne pas opposer les systèmes semenciers et que tous les systèmes sont indispensables (système semencier paysan et système certifié) pour contribuer à la sécurité alimentaire et à la préservation des valeurs socioculturelles. L’évident intérêt des communautés à préserver le patrimoine biologique pour des raisons encore inconnues par la communauté scientifique est fourni dans ces deux communes du Niger. L’Etat et les partenaires se doivent d’impliquer davantage les communautés de base dans les politiques agricoles. Quant aux chercheurs locaux, ils se doivent d’être beaucoup plus à l’écoute des besoins des communautés de base. Il est également nécessaire de décentraliser la recherche agricole afin qu’elle puisse mieux répondre aux spécificités locales. Pour conclure, la tenue d’un répertoire ou d’un catalogue de semences et de pratiques agricoles paysannes du Niger est nécessaire pour sauver les connaissances et savoirs paysans en voie de disparation.

QUE PEUT-ON FAIRE DE PLUS?

La sensibilisation et l’accompagnement des paysans constituent des actions primordiales pour la préservation de la biodiversité, ainsi que le savoir et les connaissances paysannes affiliés à cette biodiversité. Aussi, l’inventaire au niveau local des variétés de semences paysannes permettra d’identifier des actions concrètes pour leur sauvegarde. La mise en place des réseaux de semences paysannes ainsi que la mise en place de certaines infrastructures pour la conservation (banque de semences paysannes, magasins, etc.) sont des activités clés pour l’autonomisation et l’autopromotion paysanne.

FACTEURS DE SUCCÈS ET DÉFIS

Les facteurs de succès émanent du fait que ces initiatives proviennent des organisations de producteurs (initiatives endogènes). Aussi, l’appui aux producteurs pour l’acquisition d’équipements agricoles adaptés à leurs contraintes (charrette, charrue, etc.) a facilité l’adoption de certaines pratiques agroécologiques de fertilisation des champs (apport du fumier brut, compost) et l’augmentation de la production et du revenu. Les réseaux d’échanges à travers les foires et les concours ont permis aux organisations de producteurs d’être convaincues davantage de l’agroécologie.

Enfin, l’incapacité des variétés dites améliorées à s’adapter aux variations climatiques dans ces zones, ainsi que le retard dans l’accès aux semences certifiées, ont contribué au succès du projet.

En termes de défis importants, on peut noter : la politique semencière du pays qui n’est pas favorable à la promotion des variétés paysannes, l’encadrement et l’appui des producteurs engagés dans la production des variétés paysannes, la protection du savoir et des connaissances paysannes et la protection des variétés paysannes.

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REMERCIEMENTS

Auteur: Ibrahim HAMADOU, Chargé de Programme Souveraineté Alimentaire (CPSA), SWISSAID, Niger.

Email: Ibrahim.hamadou@swissaidniger.org

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